Plus de 30 ans ont passé depuis que Dee Nasty a ramené les premières briques du hip-hop en France. Même si sur un ton très modeste il déclare encore aujourd’hui ne pas être « le mec qui a ramené le hip-hop en France », son implication dans la naissance du mouvement dans l’hexagone est certaine et indéniable. Dee Nasty est un personnage atypique, à la fois écorché vif mais toujours épris de la même passion que celle qui l’animait lors de ses aller-retours entre la France et les USA dans la fin des années 70s et le début des années 80s.
Après avoir marqué le paysage radiophonique français avec ses nombreuses émissions, il a pondu des dizaines de projets. Aujourd’hui, Daniel Bigeault, de son vrai nom, continue à exprimer son amour pour le hip-hop, son hip-hop, les valeurs universel du hip-hop : « love, peace, unity, having fun ».
Quelques heures avant son passage au Nouveau Casino pour la DJSVP, nous avons posé quelques questions à ce symbole du mouvement. Ensemble nous avons discuté de son parcours, de l’évolution du rap, mais aussi de Booba et Maitre Gims.
*On va commencer par le commencement, Comment as-tu commencé à mixer ?
J’étais un grand fan de funk, de soul et toutes ces musiques de ma génération.
A 18 ans j’écoutais la funk de 78, et comme je suis musicien, j’achetais des disques pour avoir cet objet que j’apprécie tant. J’ai passé pas mal de temps aux USA et en revenant en 1981, j’ai rencontré quelqu’un qui avait une radio dans le 18e, « Radio ArK en Ciel ». On émettait entre la Plaine-St-Denis et le bas du 10e. Il m’a proposé une émission de funk, que j’ai appelée funkabilly en clin d’œil au rockabilly à la mode à l’époque. Je faisais ça deux fois par semaine. Puis ça m’a amené chez FG Radio qui était autre chose à l’époque. Après j’ai enchaîné les radios. Le fait de me retrouver avec deux platines et une table de mixage énorme qui me permettait pas de faire grand-chose si ce n’est comprendre les enchaînements plus ou moins propres en m’intéressant à la texture et à l’intensité des morceaux que tu enchaînais. Ça a commencé comme ça.
Puis j’ai vue deux choses super importantes c’était le New York City Rap Tour. Avec Bambata, Gran Master DST , Faada Freddy , et bien d’autres pour la danse et le graff. Je connaissais les disques qu’ils jouaient mais la manière dont ils les passaient m’a totalement retournée. Donc je me suis mis à fond dedans en essayant de reproduire ce que j’avais entendu, puis GranMaster Flash est passé avec les Furious Five au Palace, et là j’ai vu que c’était bien du live. C’était extraordinaire. De jouer des morceaux que tu aimes et pouvoir les accorder les uns aux autres en rallongeant les parties que tu aimes le plus, niveau créativité c’était fou. Après il a fallu avoir le matériel donc ça a mis du temps et avec mes platines de salon, à l’oreille j’ai réussi à reproduire. Sans que personne ne m’ait appris quoi que ce soit. Il fallait faire super gaff à la texture de ce qu’on jouait pour les enchaînements. DJ Boris a cru en moi et m’a fait mixer dans des soirées antillaises pour des sets jazz funk. Donc j’étais face à un public qui me rendait ce que je faisais. On était en osmose. Dj Boris, Dj Chab’1 et tous les gens qui m’accueillaient dans ces soirées m’ont donné la foi.
*Tu as rencontré le hip-hop en mixant ?
Non bien avant.
*Tu es le taulier du hip-hop en France. Tu penses quoi de l’état dans lequel il est aujourd’hui ?
Je n’ai pas ramené le hip-hop j’ai pensé ramener ce qui représentait le mouvement à mes yeux. Mais j’ai fait beaucoup pour qu’on se mette à rapper en français, car les mecs voulaient faire les américains et rappaient en anglais.
Il y a bien des choses que j’ai faites et que d’autres n’auraient pas fait mais je n’ai pas vraiment ramené le hip-hop en France, ça c’est un truc de journaliste.
*Il n’y avait pas d’appellation hip-hop à l’époque ?
Le rap commençait à circuler mais pour beaucoup de gens et moi-même c’était de la funk parlée. Personne ne m’avait expliqué que le tout s’appelait le hip-hop. Le mode d’emploi on l’a eu grâce à un article dans Actuel qui racontait tout sur Bambata, et on a compris que c’était enfaite tout un mouvement de différents univers, avec un message commun : peace, love, unity, having fun.
Ca nous a donné une philosophie. On a relié les arts de rues, qui étaient naissant. Ca a mis du temps à arriver.
* En 1995 tu disais qu’il fallait que le rap évolue, aujourd’hui tu penses qu’il a bien évolué ou mal vieilli ? Tu penses qu’aujourd’hui, le Hip-Hop manque d’authenticité, de créativité ou c’est autre ?
Le hip-hop est devenu un langage universel pour beaucoup de gens, ghetto ou pas ghetto. C’est comme tout, quand le cercle s’agrandit, tu trouves de tout dans ce cercle. Mais est-ce que Maitre Gims fait du hip-hop ? Est-ce que Booba fait du hip-hop ? Est-ce qu’ils considèrent que ce qu’ils font est hip-hop ? La plupart de ces gars-là, revendiquent même qu’ils font du rap mais ne sont pas dans le hip-hop. Car ils savent que le hip-hop représente certaines valeurs.
De quel hip-hop on parle enfin de compte. A la télé des fois il y a marqué « clip hip-hop » mais ce n’est pas hip-hop. Le hip-hop pour moi c’est celui des origines et que je défends toujours aujourd’hui.
Après oui ça a évolué, la danse a évolué, chaque élément évolue, des gens super talentueux continuent à nourrir le mouvement.
Ca me rappelle le t-shirt « le rap c’était mieux avant ». Moi je dis que le rap sera mieux demain. Tout est une question d’époque. Il y en a qui dise que les années 90s c’était l’âge d’or du hip-hop mais en Espagne par exemple, ils ne savaient pas encore ce que c’était le hip-hop. Eux leur âge d’or ils le connaissent aujourd’hui. Aujourd’hui je trouve que notre rap est d’une tristesse…Que ce soit commerciale ou indépendant, ça se mord la queue, ça se cherche. Pour reprendre l’exemple de l’Espagne, ils vivent leur rap d’une manière extraordinaire. Ils ont des vrais lyrics, ne sont pas du tout dans le commercial.
Apres sur la danse, on voit bien que c’est toujours en expansion. Le hip-hop canalise des énergies aussi mais il y a un côté galvaudé.
Apres qu’il y ait un manque de curiosité des jeunes par rapport à ce qui s’est passé avant ça se comprend, c’est humain. Je n’ai pas de constat arrêté sur la manière dont le hip-hop a évolué.
Dans le reste du monde les gens rappent pour de vrais raisons, pour défendre des causes. Le hip-hop est arrivé dans des endroits où on pensait qu’il n’irait jamais. En Afrique il prend une place limite politique.
*C’est ça le terme rap mondiale dont tu parlais avant l’interview ?
Il y en a toujours eu partout je pense. Après le rap c’est toujours très locale. Je ne pense pas qu’un sénégalais écoutera plus un rappeur du Burkina-Faso qu’un mec de son pays.
*Le scratch aujourd’hui on en parle beaucoup moins qu’avant. J’ai l’impression que depuis toujours, le scratch a perdu de poids sur la scène hip-hop.
Avant la plupart des mecs étaient d’anciens djs devenus beatmaker, dont ils mettaient du scratch dans leur prod.
Puis la technologie a fait que d’autres personnes s’y sont mises. La discipline est dure, il faut travailler, investir etc. Aujourd’hui le scratch est une niche technique. Je vais toujours scratcher en soirée pour décorer et donner du nerf à un mix avec un peu de sauvagerie. Mais beaucoup de djs, pas les plus connus, donnent l’impression d’être toujours en championnat. Donc en compet’ ils sont forts mais en soirée non car ils font des sets de 20 min en club et n’arrivent pas à trouver leur place.
Le rap c’est le plus audible donc c’est ce qui fou le plus de bordel tu vois. Dans le rap français d’aujourd’hui tu as ceux qui sont Demi Portion, Le Gouffre etc, et les autres qui sont Booba, Rohff et compagnie. Les gamines qui adorent Maitre Gims ne savent pas qu’il était Sexion d’Assault avant.
Et ce n’est pas Kool Shen qui va nous aider à unir ces camps même s’il a fait un son avec le beatmaker de Demi Portion.
*Les jeunes ne suivent plus mais les anciens n’ont pas su faire en sorte que de construire une vraie industrie qui produit des générations plus jeunes aussi.
Certains ont eu l’occasion de le faire, je pense à des BOSS, IV MY PEOPLE. Après je n’ai rien contre eux. Si j’avais pu faire plus, je l’aurais fait mais j’ai fait tout ce que j’ai pu.
Il y a un gros problème en France dans la tête des artistes aussi c’est le ghost writting. Je trouve qu’il n’y a rien de mal là-dedans. Il y a un gâchis générationnel. Alors est-ce que les anciens ont fait ce qui fallait ? Mon constat c’est que tout le monde en a fait qu’à sa gueule. Personne ne t’oblige à continuer si tu n’as plus rien à dire, sinon demande à des gens de t’écrire des textes.
Booba c’est celui qui s’en sort le mieux. Il n’a jamais promis autre chose que ce qu’il disait déjà à l’époque de Lunatic.
*Reparlons du djeing. Ta pire expérience en tant que dj ?
Comme tous les djs, en club je pense que c’est quand les gens viennent te voir pour te dire « tu peux mettre de la funk » alors que ça fait deux heures que tu en joues, ou « ça va être vous toute la soirée ? ». Il y a aussi ce moment où le patron vient te dire « vous avez pas remplie le club donc je ne vais pas vous payer. » Il y a le vol des disques aussi.
A Nova aussi des équipes sont venus pour tout défoncer pour que je n’aie plus mon émission. Des gars sont venus me faire taire, par jalousie totale. En tant que toubab d’un part, je me faisais trop d’argent sur le rap, selon eux alors que je n’étais pas payé. Ils pensaient que c’était moi qui dominait le rap et qui décidait de tout. Apres l’émission de Nova s’est arrêté.
Pour moi c’était : t’es blanc, t’es un fils de Bourges, même si tu viens de Bagneux, tu devais être un privilégié de là-bas. Ils étaient jaloux de ma passion enfaite. Je galérais mais je ne le montrais pas.
*Tes prochains projets ?
De créer une entité qui regroupe toute la francophonie hip-hop du Canada, à la Nouvelle Calédonie etc. Une sorte de Hip-Hop United Francophone de la Nouvelle Calédonie en assant par le Canada, la France, la Belgique etc. Ça nous permettrait d’avoir notre propre réseau. C’est ça le projet mais ça va prendre du temps à développer. On a la même langue, une histoire commune. Les américains sont focus sur leur afro centrisme, ils viennent d’accepter que des latinos puissent faire partie du hip-hop.
*Comment les américains ont réagi quand tu leur as fait écouter du rap français ?
Islam de la Nation Zulu a demandé à ce que dans son magasin, il y ait un bac rap français pour les haïtiens, etc. Aucun label français n’avait suivie. Ceux qui ne comprenaient pas le français aimaient car ils disaient « c’est bien posé, et en plus on ne connait pas les paroles donc ça nous repose ».
*30 ans après, en France ça te dérange qu’un jeune blanc qui a de l’oseille rappe ?
Ba non, je n’ai jamais dit que Matthias Cassel n’avait pas le droit de rappeler. Bien au contraire s’il a des choses à dire. Même en Afrique il y a eu des fils de diplomate qui ont fait des choses bien.
Bienvenu au prochain mécène blindé qui veut rapper et produire des gars ! [Rires]
Même David Guetta devrait faire un label hip-hop. C’est moi qui lui ai tout appris en plus !
NOHELL TEAM.